INTRODUCTION À LA RÉUNION DE LANCEMENT
DES RENCONTRES ÉLISÉE RECLUS
Connaitre son passé, ou apprendre à connaitre son passé permet, permettrait de mieux construire son avenir.
Ce n’est pas tout à fait la bonne formule ; ceux attachés à l’exactitude peuvent relire Nicolas Machiavel.
Jusqu’à présent personne n’a démontré la véracité de cet adage ! Probablement pas Machiavel lui-même, mais la suite de sa maxime est très intéressante : « Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats ».
Les passions…
Une sorte de cercle vicieux dont il est difficile de se départir.
L’ambition, l’objectif, des rencontres de ce jour et des autres à venir dans le futur, organisées par le CER associé au CAL, est de comprendre, comment nous, l’humanité, en sommes arrivés à un point aussi dramatique de notre évolution. Un point dont nous espérons qu’il n’est pas un point de non-retour. Pour cela, il faut agir et agir très rapidement, ensemble ! Il est temps de cesser notre agitation désordonnée et de rassembler toutes les bonnes volontés. Agir nécessite de comprendre, objectivement, en apprivoisant nos passions, sans les occulter, car celles-ci sont, comme notre raison, pleinement constitutives de notre être. Toujours cet instable mélange de hasard et de nécessité qui inlassablement a guidé nos pas depuis ce lointain jour où, là-bas, en Afrique, quelque part dans la vallée du Rift, Homo a décidé de se lever sur ses deux jambes, de regarder au loin l’horizon pour prendre son destin en main.
Apprendre de nos origines, de notre histoire, comment tout cela s’est construit, créant un système aux multiples branches comme les nombreuses têtes de la mythique hydre. Tout comme couper quelques têtes de l’hydre ne suffit pas à la tuer, ne pas comprendre toutes les branches du système ne permettra pas de le changer. Cette approche systémique est difficile mais nécessaire, indispensable car l’humanité, le vivant n’est qu’interactions. En oublier la moindre ne fera qu’exciter les passions au détriment de la raison, menant à ces débat violents et stériles dont, hélas l’humanité est coutumière. Une analyse systémique sans tabou, sans concession de notre évolution et de ses chemins de traverses est inhabituelle et contraire à l’enseignement que nous recevons. La somme des connaissances de l’humanité est telle qu’il faille la diviser pour pouvoir l’appréhender créant des niches de spécialités perdant peu à peu les liens avec la réalité. Reconnecter la connaissance au réel ne nécessite pas d’amasser des connaissances, c’est impossible, d’autant plus qu’elles sont de plus en plus facilement accessibles ; nous ne devons pas devenir des « Hercule » de la connaissance mais des « Hercule » de l’esprit critique. Il ne faut pas être savant, au contraire, nous jouons un rôle important à simplifier ces matières complexes afin qu’elles soient accessibles à tous et à aider à trier le faux du vrai. C’est possible pour autant que l’on ouvre son esprit aux valeurs bienveillantes qui sommeillent en chacun d’entre-nous et que l’on apprenne à dominer nos angoisses issues de nos peurs profondes liées à l’incertitude du lendemain. Nous pouvons éviter, limiter ces insupportables incertitudes en prenant en main nos décisions, notre destin, notre civilisation… notre avenir, pour le progrès de tous et ne plus nous laisser guider aveuglément par ceux qui ne veulent pas, ne savent pas voir la réalité ou par ceux qui dans leur propre intérêt ne veulent pas la changer. Ils sont nombreux ces manipulateurs, parfois convaincants, mais surtout habiles à user de nos faiblesses.
Prompts que nous sommes à accorder davantage de crédits aux thèses qui nous plaisent qu’à celles qui nous déplaisent, gouvernés par nos émotions, notre feeling, nous prenons nos désirs pour des réalités et tant pis pour les faits ou les arguments qui viendraient nous démentir. Une confiance exagérée accordée à l’intuition personnelle au bon sens, aux évidences apparentes contraires l’esprit scientifique, à la science. Celle-ci prend généralement l’intuition à contre-pied, contredit presque toujours le bon sens et n’a que faire des apparences. Hé oui, l’eau chaude peut geler plus vite que l’eau froide ! Débarrassons-nous de cet effet gourou, de cette sensibilité aux arguments d’autorité, de ce travers qui nous pousse à croire qu’une chose est vraie pour l’unique raison que nous l’avons entendue ou lue ; et surtout évitons de parler avec assurance de sujets que l’on ne connait pas. Ainsi, j’entends beaucoup parler du rapport Meadows (nous y reviendrons plus tard) mais en réalité peu l’ont lu.
Nous avons un long chemin devant nous et le temps nous est compté mais il est trop tôt ou trop tard pour le bâcler. Nous allons le parcourir ensemble mais pour ne pas se perdre, il nous faudra de l’aide et de la lumière. Hercule voire Prométhée n’étant pas disponibles pour l’instant, nous devons trouver de l’aide pour explorer, analyser et déconstruire toutes les branches de ce système injuste et mortifère. Des hommes, des femmes, scientifiques, experts ont déjà aidé le CER dans ses réflexions. Nous allons les inviter au cours de nos prochaines rencontres pour les entendre, les écouter mais aussi pour débattre ensemble. Il faut, en effet, pulvériser les préjugés et contredire les interprétations que nous nous faisons des phénomènes qui nous entourent, tout en gardant notre liberté individuelle et, je le rappelle, développer notre esprit critique. Chacun a le droit à poser des questions, à enquêter, à émettre des avis, à interpeller les scientifiques comme les gouvernants. La science évolue, se trompe parfois ou souvent, se contredit, change d’avis, mais c’est son essence même, une tâche qu’elle exécute avec la rigueur qui lui est propre. Il ne faut pas confondre « Nature » avec « Facebook ou Twitter », l’indépendance de la vérité scientifique n’enlève rien à la liberté individuelle, simplement que cette vérité évolue, que cette évolution n’est ni tromperie ni manipulation mais simplement l’adaptation permanente de la pensée humaine à ses propres découvertes.
Rappelons Franz Kafka : « Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant. »
Cependant, contrairement à ce que prétendent les tenants du système, la science ne nous sauvera pas. Comment le pourrait-elle d’ailleurs ? Elle nous aide à déchiffrer la Nature, pas à la modifier. Nous commençons à peine à comprendre le monde qui nous entoure, de là à en devenir les démiurges, tout au plus des charlatans ou des apprentis sorciers. La science aide à développer des techniques basées sur les lois de la nature, nous ne sommes pas prêts à détourner ces lois à notre profit. On ne modifie pas la gravitation ou les lois de la thermodynamique, quoique l’on fasse, l’entropie nous guette. C’est mensonge de promulguer l’inverse, de vendre des illusions à la population et de développer à grands frais des techniques limitant à peine les dégâts causés plutôt que s’attaquer aux racines. Comment réparer par de mièvres rustines ce que la Nature a mis des millions d’années à créer.
On voudrait attribuer à la science un rôle qu’elle ne peut assumer et on s’empresse à oublier ce qu’elle peut nous apporter, ce qu’elle nous apporte depuis une cinquantaine d’année : un diagnostic sans illusion de notre situation.
Le premier diagnostic objectif de l’état du monde date de 1972 avec la parution du rapport Meadows, du nom de ceux qui l’ont réalisé à la demande du Club de Rome : The Limits to growth. Le message de ce livre tient toujours aujourd'hui : les ressources interdépendantes de la terre - le système mondial de la nature dans lequel nous vivons tous - ne peuvent probablement pas supporter les taux actuels de croissance économique et démographique bien au-delà de l'année 2100, si longtemps, même avec technologie avancée. Ce rapport a été réalisé par une équipe internationale de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology. Ils ont examiné les cinq facteurs de base qui déterminent et, dans leurs interactions, limitent finalement la croissance sur cette planète : l'augmentation de la population, la production agricole, l'épuisement des ressources non renouvelables, la production industrielle et la génération de pollution. L'équipe du MIT a introduit des données sur ces cinq facteurs dans un modèle informatique global, puis a testé le comportement du modèle sous plusieurs ensembles d'hypothèses afin de déterminer des modèles alternatifs pour l'avenir de l'humanité. Ce rapport a été dénigré, raillé par ceux qui ne l’ont jamais lu, par les économistes pour lesquels les ressources naturelles se résument à un prix d’achat et à un prix de vente, et par les soi-disant « sachants » qui ne savent rien.
The Limits to Growth est remarquable, car avec les moyens informatiques limités de 1970, il a pu développer un modèle simple et résilient.
Trois remarques sur ce rapport.
- L’utilisation de modèle, fort critiquée à l‘époque, est devenue monnaie courante dans toutes les branches scientifiques et même non scientifiques. Certes les modèles ne sont pas parfaits, mais avec le développement de la puissance informatique ils s’en rapprochent.
- Des chercheurs ont vérifié si les évolutions objectives du système mondial entre 1972 et 2020 correspondent aux prédictions du modèle Meadows ; manifestement, celui-ci tient la route.
- Le livre contient également un message d'espoir : « l'homme peut créer une société dans laquelle il peut vivre indéfiniment sur terre s'il s'impose des limites à lui-même et à sa production de biens matériels pour atteindre un état d'équilibre global avec une population et une production soigneusement sélectionnées. Equilibre. »
Voilà à quoi sert la science, à nous prévenir sur base de données objectives ; et qu’en avons-nous fait ? Rien ! D’autant plus rien que la publication du rapport Meadows est concomitant d’une révolution ou certains voulaient changer le monde. Ils l’ont changé de la pire manière en devenant les chantres du néo-libéralisme. Comme quoi la cupidité fait rapidement fi des idées.
De nos jours, les rapports du GIEC sont vivement critiqués par les climatosceptiques alors que par comparaison au rapport Meadows, ils sont produits par des centaines de scientifiques utilisant des modèles et des outils informatiques nettement plus performants que ceux de 1970.
Avons-nous dès lors, encore le choix de ne pas croire ce que la science tente de nous prévenir ?
Il était une fois…
Ainsi commencent souvent de nombreuses histoires, qui généralement, dans la fiction, se terminent bien.
Et la nôtre ? elle n’est pas encore finie et nous pouvons encore écrire l’avenir…
Elle commence il y a des milliers d’années quand « Homo » s’est levé ; elle commence par des génocides, car suite à un avantage compétitif, génétique ou culturel, Homo a éliminé tous ses concurrents pour ne subsister que nous, Homo Sapiens. Plus rien n’arrêtera sa course au toujours plus, ni les religions qu’il s’invente, ni les Lumières- apportées par la réforme- qui l’éclairent ne pourront raisonner Sapiens dans sa course éperdue à s’imaginer pouvoir dominer son cosmos. La science qu’il inventa et qui aurait pu l’aider à décrire et comprendre la complexité du monde dans lequel il vit est mise essentiellement au profit de la course au toujours plus. Plus vite, plus loin, plus fort, plus riche… Sapiens en oublie que son monde terrestre n’est pas infini.
La suite, elle est à écrire, ensemble. Il nous faut penser inlassablement à nos enfants, aux générations futures envers lesquelles nous avons un devoir.