Qualité de Vie : au-delà de la mesure du bonheur et du pouvoir d’achat - 28/06/2025
Introduction (version du 28/06/2025)
Nous sommes le Cercle Élisée Reclus (CER), un groupe de réflexion et d’actions qui, face au déni social et écologique sans précédent dans l’histoire de l’Humanité, s’engage « pour une humanité en harmonie avec la nature ».
Nous sommes révoltés des décisions prises par ceux qui dirigent les instances publiques et privées, de leurs atermoiements et inactions, et de la frilosité des médias. Les résultats des élections nous interrogent également quant à la volonté sincère des gens de changer de paradigme. Mais nous ne sommes certainement pas résignés.
Nous nous sommes engagés à « Apprendre, comprendre, agir », nos maitres mots inspirés par le géographe et militant anarchiste français fascinant à qui nous empruntons le nom.
Nous mettons modestement mais ardemment notre énergie et nos expériences au service de la communauté, afin d’accélérer la bifurcation nécessaire vers un monde désirable qui reste à construire.
Cette 8e Rencontre Élisée Reclus qui clôture l’année 2024-2025 sera particulière et entamera une action collective à laquelle nous espérons que le plus grand nombre participera. Suite aux recommandations énoncées collectivement lors de la 6e Rencontre « Convergeons pour agir », le groupe de travail « les mots pour le dire » a été constitué, avec l’ambition de proposer un lexique autre que PIB, croissance, pouvoir d’achat ou profit pour composer un récit qui parlerait au plus grand nombre d’un monde désirable et atteignable, où justice environnementale serait complémentaire de justice sociale, où les êtres humains vivraient en harmonie avec la nature dont ils sont partie intégrante.
Le concept fédérateur de « Qualité de Vie » s’est révélé à nous comme une évidence. La définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946 nous a convaincus : « la perception qu'un individu a de sa position dans l'existence, dans le contexte de la culture et des systèmes de valeurs dans lesquels il vit, et en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses préoccupations ».
    Le bien-être, le bonheur et bien d’autres choses ne se mesurent pas vraiment. Et quand bien même on y arriverait (d’ailleurs des économistes le font, dont deux qui ont même reçu le Prix Nobel d’économie), à quoi cela servirait-il ? Pour preuve, cela se fait depuis les années 1970 et cela n’a pas changé grand-chose dans la manière de décider en entreprises et en politique. Aucun indice, pas même celui du développement humain créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 ne nous dira comment les gens se sentent dans la société. Au lieu de se reposer sur une mesure qui se voudrait objective, il vaut mieux mesurer directement comment les citoyens apprécient l'évolution de leur société, et comprendre comment ils le ressentent. C’est l’objectif de l’usage de la Qualité de Vie. Une telle approche n’est pas totalement nouvelle, mais l’usage de ce concept est relativement innovateur. Dans la tradition académique, on parle plutôt de bien-être (well-being de l’OCDE) ou de bonheur (happyness, pour lequel il existe même une base de données internationale). Mais ces affects posent des problèmes de définition et sont finalement assez réducteurs. Ils ratent la multi-dimensionnalité de la Qualité de Vie. Nous avons défini sept dimensions :
  1. Une seule santé
  2. Satisfaction des besoins
  3. Savoirs, savoir-faire et compétences
  4. Cultures et loisirs
  5. Relations sociales et communautés
  6. Gouvernance démocratique
  7. Contribution à la société
En préparant cette Rencontre, en discutant autour de nous du concept de Qualité de Vie, nous nous sommes rendu compte qu’il est encore plus fort que nous le pensions. Car il offre une voie simple et efficace de concevoir un modèle de société qui concilie les périls de « la fin du monde » avec les exigences des fins de mois, le long terme avec le court terme, l’individuel avec le collectif. La décroissance économique arrivera un jour, choisie ou imposée. Mais ce ne sera pas la fin du progrès. Il existe bien des manières de grandir. Nous le disons à nos enfants. Ne l’oublions pas pour nous même. Et cette chose qui continuera à croitre, ou qui le devrait si nous nous y consacrions, c’est la Qualité de Vie, en nous reconnectant avec la nature et entre nous.
Comment le concept de Qualité de Vie pourrait-il nous mener à un monde plus durable ? Pour mener à l’action, nous pensons qu’il faut d’abord connaitre le ressenti des gens sur leur Qualité de Vie et surtout son évolution dans le temps et comment répondre aux aspirations exprimées. Comment analyser ce que la population pense vraiment sur ces sujets ? Quelles sont les questions pertinentes à poser pour appréhender au mieux ces ressentis ?
Passons en revue les 7 dimensions sur lesquelles nous avons travaillé ainsi qu’une mini-enquête reprenant quelques questions relatives à chacune de ces dimensions.
1. Une seule santé
« Bonjour, comment ça va ? » Cette question si banale exprime bien l’importance de la santé dans nos vies quotidiennes. C’est aussi au niveau de la Santé que la Qualité de Vie a été la plus étudiée et théorisée dans une nouvelle approche, plus holistique, de la prise en charge des patients. Dans ce contexte la Qualité de Vie apparait comme « ce qui reflète l'impact des maladies, des traitements et des décisions de santé sur la vie quotidienne des patients » et ramène à l’estimation de l’expérience d’une maladie ou d’une prise en charge hospitalière. C’est une affaire de ressenti qui peut varier d’un individu à l’autre et donc, du fait de la subjectivité du sujet, les patients sont les seuls à pouvoir apprécier leur Qualité de Vie, les seuls à pouvoir déterminer s'ils en sont satisfaits. L’important ici est de sortir les individus de leur statut d’objet – des numéros définis par leurs paramètres et autres analyses médicales de plus en plus sophistiquées – pour leur rendre leur statut de sujet qui peut prendre part au processus thérapeutique dans l’écoute de toute l’équipe du personnel soignant. Dans l’état actuel des choses, une telle approche holistique n’est pas encore accessible à tous.
Mais la santé, c’est encore plus que cela. Dans le préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la santé (OMS 1946), la santé est définie de manière bien plus large comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».
Aussi à la question « Comment ça va ? » il y a d’autres réponses que « bien » ou en cas de problème de santé « ça va, je me sens bien écouté et entouré par l’équipe soignante ». On aimerait pouvoir entendre par exemple : « Super ! J’ai pu me ressourcer au calme au cours d’une longue balade en forêt » mais très souvent les réponses ressemblent plus à : « Bof ! Je respire mal, j’ai les yeux qui piquent, la ville sent mauvais… et tout ce bruit ». C’est l’impression que j’avais chaque fois que je revenais en ville à Paris après une randonnée dans les montagnes. Il est en effet difficile de se sentir en bonne santé si on ne vit pas dans un environnement sain, même si on s’habitue tellement cela fait partie de notre vie quotidienne. Nous arrivons au cœur du concept « Une seule santé » : La santé humaine est intimement liée à la santé de la planète et des écosystèmes, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les plantes et les animaux que nous mangeons.
La consommation régulière d’eau et d’aliments contaminés par des substances chimiques (les pesticides, les PFAS et les nano-plastiques) entraine une imprégnation progressive de l’organisme avec des effets négatifs sur la santé à long terme et sur la fertilité. Et ce sont nos enfants et petits-enfants qui sont les plus exposés. Comment répondre à cette responsabilité intergénérationnelle : quelle terre laisserons-nous à nos enfants et petits-enfants ? Comment faire pour qu’elle soit encore agréablement vivable pour l’humanité à venir ?
Manger sainement n’est pas qu’une question de cout : c’est à la fois un choix individuel et une démarche collective. Individuellement, nous pouvons changer nos habitudes alimentaires. Pour les problématiques environnementales qui ne relèvent pas de nos choix individuels, quels sont les leviers dont nous disposons ? L’information du plus grand nombre, à l’écart des régimes soi-disant miracles, devrait être un minimum. Une piste ne serait-elle pas d’interpeler les pouvoirs locaux plus accessibles ?
À la question « Comment ça va ? », on entend également de plus en plus souvent « Je suis débordé, stressé, anxieux, etc. ». Même lorsqu’elles ne mènent pas à une prise en charge médicale, ces charges mentales peuvent influencer profondément notre Qualité de Vie. Pour renforcer ce qui vient d’être dit plus haut, le lien entre l’alimentation et la santé mentale est aussi maintenant bien documenté. Pour beaucoup, en tout cas dans le Cercle, nous sommes conscients que ces malaises viennent de la société, de notre organisation sociale, notamment dans le cadre professionnel. Nous pouvons également y adjoindre l’éco-anxiété grandissante. Face à ces constats, que faire ? Quelles sont les pistes qui rencontreraient le mieux les attentes de la population ?
Pendant longtemps et parfois même encore maintenant la bonne santé d’une population a été quantifiée par la mesure de l’Espérance de vie. Nous proposons de revisiter cette approche sèchement statistique en y intégrant la Qualité de Vie. Une « bonne » espérance de vie ce n’est pas seulement « vivre le plus longtemps possible » mais « vivre le mieux possible et le plus longtemps possible », le « mieux » passant avant le « longtemps ».
La définition de la santé de l’OMS reprend aussi toute la dimension sociale de la QV : insertion dans la communauté, solitude, perte de sens de l’existence, etc. traitée dans la dimension 4.
2. Satisfaction des besoins
Satisfaire les besoins de la population, c’est plus qu’une condition vitale, c’est un projet de société. Bien sûr, il s’agit d’abord de satisfaire nos besoins primaires (ou de base) : assouvir la faim et la soif, avoir un toit, avoir chaud et, par ces temps de réchauffement climatique, avoir frais aussi, pouvoir se déplacer, etc. Ceci est un prérequis, mais ce n’est pas suffisant pour avoir une « bonne » Qualité de Vie.
Par exemple, avoir accès à de l’eau est nécessaire, encore faut-il qu’elle soit potable microbiologiquement mais également chimiquement. La récente crise des PFAS nous l’a rappelé. De même, manger à sa faim ne suffit pas. La nourriture doit être tant que faire se peut saine, équilibrée et gouteuse. Il est tout autant primordial d’avoir accès à un logement, mais celui-ci devrait être de qualité et agréable à vivre.
Insistons ici sur un point important du concept de Qualité de Vie : en tant que perception (et non pas en tant que statistique, ne l’oublions pas), elle est la conséquence de l’interaction de l’individu avec son environnement au moment de cette perception. Même si la perception de la Qualité de Vie est essentiellement individuelle – écart perçu entre ce que l’individu désire être et avoir et ce à quoi il arrive réellement –, cette perception est aussi influencée par les normes de vie des autres individus de sa communauté, les normes de la société dans laquelle il vit et c’est plutôt l’écart (ou le non-écart) à cette norme qui contribue à la satisfaction de vie individuelle. Lorsqu’une personne se plaint de cet écart entre désir et réalité, elle est souvent traitée de jalouse, d’envieuse ou de râleuse. Pourtant, c’est bien cet écart qui lorsqu’il est trop grand pour beaucoup de gens devient un problème de société. C’est bien cet écart qui détermine la cohésion sociale ou le chaos. En promouvant le concept de Qualité de Vie, nous sommes plus que conscients de cet enjeu, nous proposons de remettre au centre de la discussion citoyenne « ce que veulent les gens » et pour ça le leur demander. Cette phrase peut sembler anachronique, mais elle reste la base de la démocratie.
Nous comprenons maintenant que vouloir une bonne Qualité de Vie pour tous dépasse la simple satisfaction des besoins primaires. Ce que chaque personne voudrait, dans une mesure raisonnable qui reconnaissons-le est subjective, va au-delà de ses besoins de base. La satisfaction de ces besoins individuels non essentiels participe à ce que nous entendons par Qualité de Vie. « Raisonnable », le mot vient d’être prononcé. Là, sans doute, se concentreront les discussions. Qui décrète ce que chacun peut avoir en plus de ses besoins primaires ? Et comment ? Quel système de distribution et d’accès ? L’agrégat de tous les désirs individuels est évidemment limité par les limites naturelles et les moyens collectifs disponibles. Mais toute société se construit. Elle détermine l’avenir. La satisfaction des besoins est une question essentiellement de choix à la fois individuels et collectifs, qui, à notre avis, devraient se faire dans un respect mutuel, une harmonie collective, selon un équilibre global entre ces besoins individualisés et les besoins de la collectivité et les ressources naturelles, tout en pensant aux générations futures. La mobilité constitue un cas exemplaire : continuons-nous avec des véhicules individuels ou passons-nous au tout transports en commun ? La mobilité est un besoin primaire, mais la manière de le faire est également une question de désir (de rapidité, de statut, de facilité, etc.).
L’économie est bien entendu au cœur de cette dimension de la Qualité de Vie. C’est ici que nous trouvons un lien évident avec la croissance économique et le pouvoir d’achat. Nous pouvons comprendre que le concept de Qualité de Vie ne se limite pas à ces deux aspects. Dans bien des cas, elle peut croitre sans nécessiter une croissance macroéconomique. La croissance de la satisfaction individuelle ne se limite pas à la croissance matérielle. Plus d’amitié ou de gentillesse n’a pas de prix. C’est une évidence. Se concentrer sur la Qualité de Vie permet de sortir du piège de la croissance à tout prix, tout en se préoccupant des besoins de la population. La Qualité de Vie offre aux citoyens et au débat politique une base de discussion humaine, sociale et environnementale positive et fonctionnelle afin de s’entendre sur les décisions collectives. Pour faire simple, on pourrait dire que la Qualité de Vie est associée au progrès socio-environnemental, l’économie ne devenant qu’un outil parmi d’autres : toute amélioration du bien-être individuel doit concourir, par effet d’agrégation, à l’augmentation de l’harmonie sociale.
3. Savoirs, savoir-faire et compétences
Combien de fois dans votre vie quelqu’un vous a-t-il demandé : « est-ce que tu sais faire ça pour moi ? ». Cette bien belge ambigüité linguistique entre savoir et pouvoir, est très révélatrice du lien entre les deux verbes. Elle nous montre que pour pouvoir, c’est-à-dire être capable de faire quelque chose, il faut une dose de savoir. Savoir cuisiner, savoir cultiver la terre, réparer une installation électrique, savoir utiliser les outils informatiques, savoir soigner, plus à la base, savoir lire, savoir écrire, savoir compter, pour inventer, créer, pour contribuer à la société.
Le savoir est à la fois source de plaisir, nécessaire à l’autonomie individuelle et à l’intégration dans la société. Il se décline sous forme de connaissances, de pratiques et de compétences parmi lesquelles il convient de ne pas oublier les compétences sociales, le savoir-être. De ce fait, le savoir, au sens large du terme, est une dimension essentielle de la Qualité de Vie.
Savoirs et compétences se transmettent et s’acquièrent tout au long de la vie. Toutefois, la méthode et l’efficacité de la transmission lors des premières étapes de l’éducation sont déterminantes pour la capacité d’un individu à acquérir de nouveaux savoirs ultérieurement. Elles lui fournissent, ou pas, les outils et la confiance en soi, nécessaires pour son épanouissement futur.
La transmission des savoirs et des compétences se fait à plusieurs niveaux, qui se veulent complémentaires. Il est courant de dire que l’école instruit, transmet les savoirs « livresques », et le cadre familial éduque, transmet le savoir-être. Dans la vraie vie, les choses sont plus compliquées. En effet, les familles avec un niveau socio-économique élevé sont aussi le plus souvent culturellement favorisées et transmettent à leurs enfants quantité de savoirs et d’expériences éducatives auxquelles de nombreux enfants n’ont jamais accès. Dès lors, le système éducatif mis en place par la société se propose de  corriger les écarts dus à la naissance, en apportant une dose d’équité, spécialement auprès des jeunes enfants et des adolescents : le fameux concept de l’école de l’égalité des chances. Par ailleurs,  le système éducatif ne se limite pas à l’école proprement dite. Le parascolaire, les écoles de sport, de musique, etc., organisés par les services publics, sont des vecteurs de transmission de savoirs et, plus encore que l’école elle-même, sont des lieux privilégiés pour explorer des compétences insoupçonnées de chacun et pour apprendre à travailler en groupe, bref, pour développer un savoir-être dans la bienveillance nécessaire au développement de la confiance en soi.
Posons-nous maintenant une douloureuse question : le système atteint-il ce bel objectif ? La question est douloureuse car nous savons tous que la réponse est plus que mitigée, particulièrement en Belgique : malgré d’indéniables efforts consentis, le système échoue à compenser les disparités.
Nous pensons que la survalorisation des savoirs sur les savoir-faire qui caractérise le système scolaire belge est sans doute une explication de cet état des choses. Il tend vers une sélection des soi-disant « meilleurs », les intellectuels, dévalorisant de fait toutes les autres compétences. Ce choix stratégique n’est pas sans conséquence tout au long de la vie des citoyens. Ce biais implique une hiérarchisation des individus bien ancrée et qu’il sera difficile de combattre. La situation est aggravée par l’évolution de notre société où la place grandissante des développements technologiques et la vitesse des changements qui en découlent  procurent à un nombre conséquent de nos concitoyens le sentiment d’être laissés pour compte et totalement déclassés, comme l’a montré la récente enquête sur le ressenti des Belges organisée par l’ULB et l’Université d’Anvers à la demande de la RTBF. Déclassés ils se sentent aussi en ce qui concerne les questions environnementales. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent, surtout parmi les jeunes, pour réclamer un discours plus compréhensible, moins jargonneux et plus axé sur le concret, afin que tous puissent participer au débat sur les choix de société qui engagent notre avenir à tous.
Ainsi, la tendance élitiste de notre enseignement consolide les disparités dans une société inégalitaire où l’argent offre bien des privilèges. L’école est le reflet de la société, traversée par les questions, les problèmes et les conflits qui caractérisent la société en général. Son rôle dans la formation des esprits en fait le lieu de confrontation de toutes les idéologies. Si nous voulons changer la société, il faut changer le système éducatif, et vice-versa. Les établissements scolaires ne sont en effet pas des sanctuaires et les problèmes sociaux y sont très présents (racisme, sexisme, préjugés, harcèlement, etc.). Changer l’école pour changer le système, tout en sachant qu’elle fait partie du système ? Par où commencer ?
L’usage du concept de Qualité de Vie permettrait de se poser de meilleures questions que celles liées aux résultats scolaires et à la préparation à un avenir professionnel vu uniquement sous l’angle de la compétition entre individus. Des questions simples et presque évidentes telles que : Quels apprentissages et pour quoi faire ? Les conditions d’apprentissage sont-elles réunies pour toutes et tous ? Les enfants sont-ils heureux dans le cadre scolaire ? sont rarement posées en ces termes dans les médias et les débats politiques.
4. Cultures et loisirs
Bien vivre, ce n’est pas seulement avoir accès aux soins de santé, à un environnement et un logement agréables, aux savoirs et aux savoir-faire, manger sainement et de manière générale satisfaire ses besoins. L’accès à une offre diversifiée d’activités culturelles et de loisirs est également un facteur important de la Qualité de Vie. L’équilibre dans une vie qualitative n’est possible que lorsqu’on peut créer ou avoir accès à la création, lorsqu’on peut profiter de loisirs actifs ou moins actifs dans des environnements sains ou lorsqu’on peut s’imprégner de la nature. Ces éléments contribuent à une bonne santé physique et mentale.
Nous pensons pourtant que le « temps libre », dont la richesse produite n’est pas financière, est fondamental pour un bon équilibre physique et mental. Ce n’est peut-être pas un besoin primaire, comme manger à sa faim, mais il n’est certainement pas secondaire. L’accès aux activités culturelles, comme créateur ou comme spectateur, créé du lien social.
L’accès à la culture, aux activités sportives et aux loisirs est cependant souvent vu comme un luxe, souvent payant et toujours secondaire, voire non-essentiel. Le financement de ces activités est considéré comme une dépense par les autorités, rarement comme une nécessité. Pourquoi dépenser dans ce domaine alors qu’il y a des choses économiquement plus importantes ? constitue la pensée logique dominante. Il est le parent pauvre dans nos sociétés, sans doute parce qu’il est compliqué de mesurer en quoi l’accès à la culture, aux espaces verts ou aux loisirs peut générer des revenus ce qui serait son but dans le système capitaliste. Et en ce qui concerne le pouvoir d’achat, ce genre d’activité a plutôt un impact négatif, du point de vue du système en place. L’usage du concept de Qualité de Vie s’impose ici assez naturellement, comme une sorte de « mesure » non économique, donc non soumise au dicta du profit à tout prix, sans en être vraiment une, des besoins en termes de culture et de loisirs, et des autres dimensions que nous avons vues.
Ce n’est pas une vraie « mesure » parce que sa valeur absolue ne nous dit pas toujours quelque chose. Si de manière générale, le ressenti de la population est mitigé, par exemple pour l’accès aux salles de sport, il est difficile d’en tirer directement des conclusions. En effet, certains peuples ont la réputation d’être plutôt râleurs, les Français pour ne pas les citer, et d’autres de plutôt éviter de se plaindre, les Japonais et les Allemands pour ne pas les citer non plus. De manière pratique, c’est l’évolution du ressenti de Qualité de Vie qui donne les meilleures indications. Comment le ressenti évolue au cours du temps dans une population donnée, cela constitue une mesure, certes relative, mais utilisable.
Il ne faut plus démontrer les effets positifs du sport sur la santé physique et mentale. Pouvoir se ressourcer dans la nature, quel que soit l’endroit où on habite, devrait être une des priorités. Investir dans des espaces communs de loisirs, dans l’accès aux espaces verts en ville (et leur préservation), dans des activités culturelles où on peut à la fois créer ou profiter des créations, devraient devenir la norme.
Et comme discuté lors de la 7e Rencontre Élisée Reclus, ce serait encore mieux si toutes ces infrastructures étaient des Communs. Car la culture ne doit pas seulement s’imaginer dans un contexte commercial. Pouvoir participer à la création artistique et pouvoir profiter de cette création doit être possible pour tout le monde et pas seulement pour ceux qui en ont les moyens financiers ou le temps. Notre environnement (dans le sens de tout ce qui nous entoure) devrait permettre de créer et d’imaginer, de vivre et pas seulement de consommer.
5. Relations sociales et communautés
Quelle est notre place dans la société et comment cette place influence-t-elle notre Qualité de Vie ?
D’un côté il y a l’individu et ses aspirations, de l’autre il y a le groupe, la communauté, la collectivité. Quel équilibre entre ceux deux tensions ? Et comment atteindre une harmonie suffisante en équilibre entre tous les besoins et les désirs de millions de gens pour la Belgique et de milliards à l’échelle de la planète ?
Chacun doit être libre et doit pouvoir décider pour lui de ce qu’il trouve être le meilleur. Que ce soit comment vivre, travailler, consommer, que croire, comment passer ses temps libres, etc. La liberté individuelle est primordiale pour s’épanouir et ressentir une Qualité de Vie importante.
Mais la vie ne se limite pas à l’individu. Nous sommes en permanence en interaction. Toutes ces interactions forment un tissu de relations et nous permettre d’exister comme personne dans un groupe, dans une communauté. Il n’y a pas de vie qualitative sans lien entre nous.
Nous faisons partie d’un groupe, notamment parce que nous sommes citoyens. Nous bénéficions de nombreux services organisés par l’État, par des associations ou des individus. Notre Qualité de Vie dépend de ces services et de la manière dont ils sont organisés.
Pour améliorer la Qualité de la Vie de chacun, des actions collectives sont également nécessaires. Les associations dynamisent la collectivité, elles construisent une cohésion dans les quartiers autour de projets communs. Elles amènent les individus à collaborer et à passer au-dessus des différences, qu’elles soient sociales, générationnelles ou culturelles.
Un facteur important dans ce travail de cohésion entre les individus est l’entraide. La Qualité de Vie globale est positivement influencée par les actions solidaires d’individus ou de groupes que ce soit financièrement ou par des actions. Chaque geste envers les autres fait grandir ce sentiment d’être une personne dans une collectivité.
Un monde plus inclusif, moins compétitif permettrait de construire une société où les mots liberté, égalité et justice ont du sens, mais surtout ou chaque individu fait partie d’un tout dont le but est d’améliorer la Qualité de Vie de l’ensemble des personnes, qu’elles soient actives ou non.
6. Gouvernance démocratique
Nous avons vu à plusieurs reprises lors de la présentation des 5 dimensions précédentes que la Qualité de Vie est relative. Relative au niveau individuel : le ressenti de chacun est une affaire personnelle, donc par nature relative. Mais également au niveau collectif : « Entre plusieurs options de choix sociétaux, laquelle augmente le plus la Qualité de Vie ? » Telle est la question qui devrait toujours être posée en politique, plutôt que vouloir maximiser la croissance économique, le pouvoir d’achat ou même l’intérêt général supposé ou le bonheur. Étant donnée la nature multi-dimensionnelle de la Qualité de Vie, la réponse à cette question le sera aussi nécessairement. Grâce à son usage systématique, nous tous, ici et ailleurs, pourrions développer une conscientisation commune plus holistique du choix, dès qu’il s’agit de décider pour le groupe, en politique et ailleurs ; la « gouvernance », comme il se dit maintenant. Nous avons ajouté le qualificatif « démocratique », pour insister sur le fait que malheureusement la gouvernance ne l’est pas toujours, notamment dans le monde professionnel, alors que selon nous elle devrait l’être systématiquement.
Décision « holistique » avons-nous dit. Ce mot est important : selon le dictionnaire Larousse : « qui ramène la connaissance du particulier, de l'individuel à celle de l'ensemble, du tout dans lequel il s'inscrit ». On se reconnecte ici à l’une des formules préférées de notre Cercle : « pour une humanité en harmonie avec la nature ». L’harmonie, en effet, comprise au sens artistique du terme : rapport heureux entre les parties d’un tout. Un tableau, c’est un agencement de couleurs, mais c’est surtout plus que cela, tout le monde en conviendra. Le tout est plus grand que la somme des parties.
Nous tenons alors enfin un objectif de gouvernance autre que la croissance économique ou l’intérêt général ; un objectif commun, à savoir l’harmonie, qui accorde dans un tout l’ensemble des intérêts individuels, à savoir que chacun jouisse d’une vie agréable. L’harmonie, c’est le pendant collectif de la Qualité de Vie ressentie par chaque individu.
Comment concrètement activer cette vision ? En se donnant comme ambition collective de cohabiter de manière la plus harmonieuse possible, ou en d’autres mots de tous bien vivre ensemble en société, ce « bien vivre » combinant les précédentes dimensions de la Qualité de Vie : santé, besoins, savoir-faire, loisirs et relations sociales. Tous dignes dans un respect mutuel, où personne n’est écrasé par d’autres et où personne ne se sent écrasé, où le mot « justice » a du sens ; trouver un terrain d’entente où chacun atteigne et puisse préserver un degré de contentement suffisant, où personne ne se considère trop lésé ou trop insatisfait.
Pratiquement, à chaque fois qu’un groupe, ce peut être les habitants d’un pays ou d’un village, mais aussi une entreprise ou un club de sport, est confronté à un choix, celui-ci s’effectue en répondant à la question : quelle option permet d’atteindre le plus haut degré d’harmonie ? Ou, comme nous l’avons déjà citée : quelle option permet d’améliorer le plus la Qualité de Vie des gens ? Ces deux questions sont équivalentes, la première se focalisant sur le collectif et la seconde sur l’individu. Chacun choisira celle qui lui convient le mieux en fonction de ses préférences et des conditions du questionnement.
De manière plus concrète encore, différents moyens peuvent être activés pour pour que la gouvernance démocratique mène à une harmonie sociale. En voici certains :
Notons que nous les voyons plutôt comme des moyens et pas comme des objectifs. L’objectif est l’amélioration de la Qualité de Vie, grâce à ces moyens. Il en existe sans doute d’autres. Et si la liste définit un ordre de priorité, peut-être qu’un autre agencement serait plus pertinent, selon le contexte. Ce sont des pistes de réflexion que nous ouvrons pour le groupe qui s’occupera de cette dimension.
7. Contribution à la société
C’est bien de vouloir une bonne Qualité de Vie, pour soi et pour les autres. Mais, comme nous l’avons vu dans les dimensions précédentes, cela nécessite que des gens fassent bien des choses : soigner, nourrir, construire, éduquer, divertir, aider, décider ensemble, etc. C’est cela le vrai sens premier du travail : travailler, c’est faire quelque chose pour garantir ou améliorer la Qualité de Vie des autres. Lors de nos travaux préparatoires, cela nous a paru évident. Nous supposons que ça l’est également pour vous. Et si ça ne l’est pas encore, écoutez la suite.
Pour nous, cela est très clair : le travail ce n’est pas participer à la production capitaliste, mais à la Qualité de Vie de tous, y compris de soi-même. Dans bien des cas, cela revient en pratique au même : le boulanger pétrit son pain de la même manière qu’il considère qu’il le fait pour bien nourrir les autres ou pour l’argent. Mais sociologiquement, c’est très différent. Une société qui se bâtit sur un de ces deux principes ne ressemblera pas du tout à sa voisine qui choisirait l’autre, car ses priorités seront différentes. L’une reposera sur le travail et l’autre sur l’emploi. De nouveau, le sens des mots est crucial : ces deux-là font des dégâts importants lorsqu’ils sont utilisés à mauvais escient : le travail, c’est une activité qui contribue à la Qualité de Vie des autres, qu’elle soit rémunérée ou pas. L’emploi, c’est l’achat par un être humain du temps d’un autre pour son propre profit et qui lui en donne tous les droits : celui de décider ce que l’employé doit produire, quand et comment.
Chaque personne, en état de travailler, se doit donc de faire quelque chose, sinon les objectifs individuels et collectifs de la Qualité de Vie ne peuvent être atteints. Il nous faut donc travailler, non par pour le profit, ni pour des raisons morales, mais pour une raison très pragmatique : personne ne peut survivre tout seul. « L’homme est un animal social », nous l’oublions trop souvent. Chacun de nous vit grâce au travail passé des autres, dans une réciprocité toute naturelle. Bénéficier d’une Qualité de Vie agréable n’est possible que grâce au travail des milliards d’êtres humains qui nous ont précédés ou de nos contemporains. Le bâtiment qui nous abrite aujourd’hui a été construit par des gens qui sont décédés depuis un bon bout de temps déjà et a été réaménagé par des gens que nous avons peut-être croisés dans la rue en venant ici. La relative bonne Qualité de Vie dont nous jouissons en ce moment résulte de cette accumulation de temps de travail et de l’exploitation de ressources naturelles.
Quitte à être obligé à travailler, autant alors que chacun et chacune puisse choisir son travail. Cela aussi, constitue un aspect important de la Qualité de Vie, étant donné que nous passons une bonne partie de notre temps à travailler. Et pas n’importe quoi, ni pour n’importe quoi, ni n’importe comment. Ici, le mot « métier » prend tout son sens : se spécialiser dans une activité utile à la Qualité de Vie, qu’elle soit manuelle ou intellectuelle. Cela dit en passant, c’est rare que les deux n’aillent pas ensemble, même si évidemment l’une supplante souvent l’autre.
Quitte à être obligé à travailler, autant alors que cela se fasse aussi dans la joie et la bonne humeur. Pour une bonne Qualité de Vie, de bonnes conditions de travail constituent évidemment une condition nécessaire.
Tout ceci n’est pas contradictoire avec le fait de se faire rémunérer pour son travail. Simplement, cette rémunération n’en est pas le but, mais une modalité pratique d’échange de quantité de travail, dans le contexte nécessaire de sa division en métiers, et non pas de valorisation de son produit. Nous sommes ici en parfait accord avec le libéral Adam Smith et Karl Marx : la richesse provient du travail. Mais nous avons maintenant une plus belle manière de la dire : la Qualité de Vie provient du travail. En travaillant, nous contribuons à la société, d’où le nom que nous avons donné à cette dernière dimension de la Qualité de Vie. Rémunérer le travail constitue donc une reconnaissance de la contribution à la société, mais pas la seule. On peut aussi donner des prix ou des médailles, ou tout simplement dire « merci ». Le simple fait de se rendre compte que sans le travail des autres, on ne pourrait jouir d’une Qualité de Vie suffisante, mais également qu’en travaillant je contribue activement à celle des autres suffit, selon nous, à donner un sens positif et une reconnaissance valorisante au travail.
Avant de conclure, il nous reste un dernier sujet à traiter, un sujet très sensible : le temps de travail. Comme pour les autres dimensions de la Qualité de Vie, le ressenti et le choix de chacun ou chacune importent. Dans l’idéal, chacun devrait pouvoir choisir son temps de travail rémunéré, le reste du temps pouvant être consacré à bien d’autres choses. Certains nous rétorqueront que nous sommes bien naïfs et que bien des gens n’utiliseraient pas ce temps disponible à des choses utiles, mais à regarder Netflix ou à jouer sur internet. Mais posez-vous d’abord la question pour vous même : feriez-vous cela ? Si la réponse est non, pourquoi pensez-vous que vos voisins le feraient ? Ne prêtons pas d’intention aux autres, sans d’abord regarder les nôtres. Bien entendu que certains n’en feraient rien de bien, mais aucun système n’est parfait. Nous ne prétendons pas que la Qualité de Vie est un concept idéal, excellemment défini et parfaitement compris. En revanche, nous sommes certains que son usage, à la place du PIB, du pouvoir d’achat et des différents indices qui tentent de mesurer le bonheur, changera la donne, car il est assez facile à comprendre et à mettre en œuvre, même sans perfection conceptuelle. Car les autres ne sont pas mieux compris : qu’est-ce que vraiment le PIB ou les indices du bonheur ? Ce qui compte c’est d’une part l’imaginaire qu’ils produisent et qui forgent les consciences, mais d’autre part c’est surtout leurs implications très concrètes dans la société, notamment en politique.


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